Installation hors-cadre familial et conflit foncier
Philippe et Patricia, éleveurs et double-actif

Philippe et Patricia ont racheté une ferme en 1998, abandonnant peu à peu leur vie d'avant. Après de multiples déboires, ils sortent peu à peu la tête de l'eau.

Le monde agricole est hermétique car il est souvent difficile d'en comprendre les enjeux et les mécanismes, mais aussi parce qu'il n'aime guère confier ses doutes et ses difficultés. « Entre eux, les paysans se font un point d'honneur à dire que tout va bien, qu'ils ont réussi à négocier un prix du lait plus élevé que la moyenne », constate Patricia.

Elle a accepté de témoigner des difficultés rencontrées depuis l'installation de son mari hors cadre familial en 1998. L'installation, un pari risqué en soi, mais dont la difficulté est accrue lorsqu'on se lance ex nihilo, sans l'assise rassurante que procure l'héritage d'une terre ou d'un cheptel en ligne directe.

Des embûches que Philippe a tout de même voulu surmonter, histoire de réaliser un vieux rêve après 12 ans passés au volant d'un camion. « Ses parents étaient paysans et son frère a repris la ferme, trop petite pour pouvoir faire vivre deux familles, explique Patricia. Mais il a toujours dit qu'il reviendrait un jour à la terre. »

Il achète donc une exploitation pour 150 000 € qui comprend un cheptel d'une trentaine de vaches laitières et de 6 charolaises à viande ainsi que du matériel agricole basique. Mais très vite, les problèmes s'accumulent. Désireux de faire passer leur exploitation en agriculture biologique, Philippe et Patricia laissent les terres qu'ils louent à l'ancien propriétaire de la ferme au repos, comme la loi l'exige. Ce qui n'est pas du goût du bailleur, qui porte l'affaire sur le terrain juridique. Les jeunes agriculteurs, forcés de se défendre, engouffreront des sommes conséquentes dans une aventure qui durera 6 ans et qui aboutira, en 2004, à leur expulsion des installations et à la perte des terrains.

Mais ils ne baissent pas les bras pour autant : le père de Philippe leur cède un terrain sur lequel ils font construire un bâtiment pour abriter leurs bêtes. Au passage, ils subiront une baisse de leur quota laitier (attaché à la terre) de 166 000 à 110 000 litres par an. Pour couronner le tout, Danone, ayant perdu un fournisseur important  dans la localité, refusera désormais d'assurer le ramassage du lait. « L'automne dernier [2007], nous avons décidé de laisser tomber le lait, plus suffisamment rémunérateur pour le travail qu'il implique », explique Patricia qui a abandonné entre-temps son activité de nourrice pour se consacrer au développement de la vente directe des produits de la ferme. Depuis, l'exploitation s'est recentrée sur le porc et la génisse à viande, vendus entre autres sur un petit marché organisé chaque vendredi matin à la ferme.

Une diversification qui, selon Patricia, aurait de toute façon été impossible durant les premières années : « Nous avons bénéficié au départ de la Dotation jeunes Agriculteurs (DJA). C'est évidemment très utile, mais elle est très contraignante car elle lie les bénéficiaires : on ne peut pas sortir du moule. Et la diversification est vue d'un mauvais œil ». Aujourd'hui, les choses vont mieux, grâce en particulier aux bénévoles de Solidarité Paysans : « Deux personnes qui nous ont sorti la tête de l'eau. Ils n'ont pas pu faire de miracle, mais ils étaient là pour moduler, raisonner et corriger. »

Depuis un an, Pascal a dû se résoudre à la double activité et travaille à mi-temps comme chauffeur pour une coopérative céréalière voisine. 900 € qui donnent une bouffée d'oxygène au revenu du ménage, qui ne tire que 500 € de l'exploitation chaque mois. Près de 10 ans de galère qui ne semble pas avoir entamé le moral du couple : « A certaines moments, on regrette, concède Patricia. Mais c'est un beau métier, et il en faut ». Leur fils, lui, a été échaudé par cette période difficile : « Je comptais reprendre une exploitation céréalière mais c'était 450 000 €. Hors de prix, surtout que le prix des céréales a tendance à chuter… ».